samedi 1 avril 2017

Bénédicte, ou l’enthousiasme d’une pionnière



Dans la série « Ils font l’Amap », voici le deuxième des trois volets, la création de notre Amap par Bénédicte.

Il fallait le faire, et elle l’a fait. Son instinct de mère l’a poussée vers le bio quand tout un chacun était encore loin d’avoir perçu les méfaits de l’agriculture industrielle ; son envie citoyenne l’a incitée à créer une Amap, quand elle ne connaissait rien des associations ni de la culture potagère ; et son allant naturel lui a permis de persuader une ferme et de recruter les premiers participants.

Si elle a toujours été sensible à la nature, le besoin de bio est venu à Bénédicte Assogna quand elle attendait son premier enfant, Guillaume, et l’envie d’Amap pendant la grossesse de la dernière. « L’écologie, ce n’est pas du tout mon éducation de base. J’avais entendu parler du bio et visité quelques boutiques, à l’époque hors de prix ; ce n’était pas pour moi, je n’en avais pas les moyens. Mais à l’arrivée de Guillaume, c’est devenu une évidence : il fallait que mon enfant mange le plus sainement possible. » D’abord pour les enfants et rien que pour eux, elle a donc commencé à cuisiner les légumes ratatinés, rabougris, au prix inversement proportionnel à leur aspect, les seuls biologiques que l’on trouvait à Paris dans les années 1990 ; elle s’est rapprochée des magasins spécialisés, y a rencontré d’autres personnes qui s’interrogeaient – à ce moment-là, les quelques lieux où l’on pouvait s’approvisionner étaient plate-forme d’échange encore plus que maintenant. Elle s’est renseignée, a lu des brochures, des revues (L’Âge de faire), des livres (notamment Printemps silencieux de Rachel Carson, publié en 1962, qui fit prendre conscience problèmes liés aux pesticides et à la pollution de l'environnement). « Et petit à petit, j’ai réalisé que le fait de manger tous bio était aussi un acte citoyen. »
Une décennie plus tard, Bénédicte a changé de vie, de mari et de foyer, elle habite désormais à Freneuse et attend l’arrivée de sa cinquième, Claire. Son intérêt pour le bio et l’écologie est allé grandissant ; dans ses recherches sur le Net elle a découvert le site Terre de liens, le blog de Fabrice Nicolino[1], auteur dont elle ne manque pas un livre, et fait ses courses à la Biocoop du Mantois. C’est dans leur journal qu’elle découvre le réseau des Amap. « Ça avait fait un grand boum en région parisienne et je me suis dit qu’il pourrait y avoir une ferme intéressée dans les environs. »

Trouver une ferme, créer une association

Ni une ni deux, renseignements pris à la Biocoop, Bénédicte se met en recherche. La ferme de Vaulezard, celle des Millonets près de Vétheuil, une maraîchère à Villarceaux… et Agnès, à Cravent, la plus locale. « Agnès était tentée par le phénomène Amap, son compagnon nettement moins [rappel, ce n’était pas encore Richard…] ; produire pour un nombre précis de personnes, ce n’est pas comme pour des marchés, il y avait beaucoup de choses à changer et la terre n’y est pas adaptée du jour au lendemain. » Heureusement, la même semaine, Isabelle, de Vaucresson, leur téléphonait elle aussi, pour demander la même chose, ce qui a pesé… Et Agnès, épuisée, était très tentée de se dispenser de la fatigue supplémentaire des marchés[2]. Après quelques semaines de discussions convaincantes, un contrat fut convenu, du 1er juin à la fin de l’année 2007.
Bénédicte n’avait jamais participé à une association de sa vie et en avait encore moins créé ; pendant ses vacances, elle s’est lancée dans une autoformation accélérée, merci Internet ; mais avant de commencer, il fallait réunir un groupe de personnes intéressées. « Je ne connaissais pas trop d’écolos dans le coin ; j’ai demandé à mes copines, à mes voisines, mes fréquentations d’école. J’en ai réuni quelques-unes dans mon salon, façon réunion Tupperware, pour leur parler de ce projet et voir si ça leur disait de monter une association ; elles ont été partantes. Si toutes n’étaient pas très convaincues, plus motivées par une nourriture saine qu’une démarche écolo, tout le monde se rassemblait dans le “pourquoi pas”. » De bons auspices (toujours teintés de Biocoop) lui permirent de rencontrer Christelle Rouvel, de Bonnières ; Bénédicte n’a pas assez de mots pour dire combien la présence et les compétences de celle-ci lui ont été précieuses. « Elle avait un avantage certain sur moi, étant comptable de métier, domaine dans lequel je n’ai aucune formation. J’aurais eu un peu peur de partir là-dedans toute seule. »
Christelle a délaissé la comptabilité
pour le ramassage de carottes…
Voici donc le bureau constitué, Bénédicte présidente, Christelle trésorière et secrétaire, voire graphiste : « C’est elle qui a fait le premier triptyque de présentation de l’Amap. » Avec une quinzaine de contrats pour démarrer. Et c’est là que le compagnon d’Agnès a lâché l’affaire, permettant de démontrer que la solidarité entre Amapiens et agriculture paysanne n’est pas un vain mot[3]. La gymnastique pré et postnatale de Bénédicte se fit donc dans les champs, pour son plus grand bonheur. « Isabelle, [de Vaucresson], Christelle et Thierry [Rouvel] étaient aussi très présents, et d’autres passaient, selon leur disponibilité. Ça m’a vraiment plu. J’ai même envisagé un moment de m’associer avec Agnès qui cherchait quelqu’un, mais je me suis vite rendu compte que je n’avais pas la santé pour cette profession ; elle demande trop de force physique et mentale. Autant il est sympa de venir faire deux heures de cueillette, on se détend, comme dans une séance de taï-chi, autant être plié au milieu des plantes de 6 heures du matin à 23 heures le soir, et en toute saison, demande une santé de fer ; sans compter le stress, le risque permanent que ça ne pousse pas, que ça pousse trop, qu’il y ait des champignons… Je tire mon chapeau à tous nos paysans, moi, je n’ai pas la force. »
Le premier lieu de distribution de L’Amda de la Boucle fut improvisé sous le cerisier des Assogna, puis dans leur garage, dans la même rue des Bastiannes où se trouve l’actuel hangar de distribution. Et ça a commencé, « très petitement », avec une quinzaine de paniers, pas très fournis à dire vrai. « Au début, il n’y avait pas forcément tout ; on jonglait avec de maigres récoltes ; je me souviens avoir, une fois, rapporté des noix, pour compléter. » Même sans aller dans les champs, les adhérents de la première heure ont ainsi tous contribué à ce lancement réussi, grâce leur en soit rendue.

Les temps heureux des ateliers

«  Donc voilà, ça s’est développé comme ça, petit à petit. Claire a grandi, il y avait déjà plus de monde et j’adorais, au printemps, quand je ramenais son lit parapluie et le mettais sous le chêne, à l’entrée ; on ramassait les fèves, et elle, dans les fleurs de fèves, dormait sous sa couette juste à côté de moi. Les enfants découvraient les plantes, comment ça pousse, tout cet équilibre toute cette vie… Je m’entendais très bien avec l’âne Pilou, on se faisait des câlins. »
Samuel découvre
 les bébés chouettes.
Et, très vite, des bonnes volontés se sont lancées dans la création d’ateliers à la ferme, avec l’Amap du Cresson gourmand (Vaucresson) ; pendant que les parents cueillaient, les enfants avaient des ateliers animés par des animateurs extérieurs ou des Amapiens. « Il y a eu ainsi une journée des abeilles avec Jean Cohin qui avait une ruche sous verre ; des parents d’une famille nombreuse avaient fait un atelier arc et flèches, déguisés en cow-boys et indiens, Marin avait adoré. Une autre fois, celui qui s’occupait des chouettes dans le coin était venu relever les bébés chouettes ; les enfants ont pu les prendre dans leur main et les peser, avant qu’on les remette dans leur nichoir qu’ils avaient entre-temps nettoyé. C’était plein de moments magiques comme ça. » 
Alice et ses copines ont fait des
couronnes de lierre et de fleurs.
Les adultes ont eu également leurs sessions de découverte, avec par exemple un atelier de massages en famille selon une méthode québécoise, un atelier pour apprendre à cuisiner les plantes sauvages, un autre sur l’utilisation des huiles essentielles. « J’ai eu l’idée d’élargir le mouvement, et c’est pour cela que notre Amap s’appelle Amda, l’idée étant de créer un vrai mouvement citoyen et culturel. J’avais vu trop grand, mais maintenant ça se fait autrement, et David a créé Le Mantois en transition. »
Et puis Bénédicte a eu besoin de se remettre à travailler, et même de se trouver un nouveau métier, professeur des écoles, pour lequel elle a repris les études. Il n’y avait plus autant de temps pour l’Amap dans son planning, et elle a passé la main à Corine, grâce à qui (et à la mairie de Freneuse) la distribution se fait maintenant dans le local de la rue des Bastiannes. Il n’y a plus d’atelier, mais ceux du début ont contribué à cimenter les liens dans la toute jeune association. Et qui sait, cela reviendra peut-être…

Il reste un épisode dans l’histoire conjointe de L’Amda de la Boucle et des légumes de Cravent : dans le précédent nous avions laissé Agnès seule face à ses cultures, bien qu’épaulée par de nombreux(ses) Amapien(ne)s ; le troisième volet (que j’espère moins tardif que celui-ci) sera pour l’arrivée du chevalier blanc… ou plutôt vert !
mlb




[1] Planète sans visa, https://fabrice-nicolino.com/
[2] Cf. papier précédent « Agnès, ou comment réussir son projet de vie ».
[3] Ibid.

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